WOMOZ : être geek, femme et contributrice Mozilla

, par  Genma , popularité : 6%

C’est lors d’une install party Ubuntu que j’ai découvert le projet WoMoz : Les femmes et Mozilla. Pour présenter ce projet, j’ai fait quelques recherches et je suis tombé sur cette définition qui me semble assez correcte : L’ambition du WoMoz dépasse la diversité au sein de Mozilla pour s’élargir aux logiciels libres en général. Pour cela, il cherche à comprendre pourquoi le milieu n’est pas attrayant pour un public féminin. Avec un crédo implacable : un logiciel étant le reflet de ses créateurs, ignorer les femmes dans son équipe de développement, c’est se couper de la moitié de son public potentiel… (Source). On peut retrouver les slides de la présentation effectuée aux FOSDEM en 2010 sur Internet, qui permettra d’en savoir un peu plus sur ce projet.

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Afin de présenter au mieux ce projet auquel j’ai été sensibilisé, j’ai pris contact avec Julia Buchner de chez Mozilla (elle est également membre de l’APRIL), pour lui poser quelques questions et en savoir un peu plus.

Ces questions sont avant tout centrée sur le projet WoMoz mais apportent également un témoignage sur ce que c’est que d’être une geek au féminin aujourd’hui. Voici donc mon interview :

- Peux tu présenter le projet Wozoz ?

C’est WoMoz, comme pour Women & Mozilla. Tout est parti du constat que les femmes sont peu nombreuses dans le monde de l’informatique. Or dans le monde du logiciel propriétaire, elles seraient 28% contre 2% dans le monde du logiciel libre, selon une étude FLOSSpols 2004-2006. Pourquoi une telle différence, alors qu’on peut trouver exactement la même diversité de postes et de missions, que ce soit en tant qu’employée ou en tant que contributrice. Le ticket d’entrée est même plus simple que dans une grande société propriétaire quand on choisit de contribuer à un projet comme Mozilla ou Wikimedia, il suffit de s’inscrire et de proposer ces compétences, puis de choisir ce qu’on a envie de faire. C’est ainsi que, partant d’une formation d’informaticienne, j’ai fait principalement du community management à Mozilla, mais aussi de la traduction, de l’organisation d’événements, des conférences,... Au final, cela fonctionne plus en fonction des passions de chacun, des talents et de la motivation à porter un projet. C’est à peine si on m’a demandé mon CV quand j’ai fait mon stage à Mozilla durant l’été 2009.

- Comment sont perçues les geekettes, les filles et femmes geek ?

De nombreuses femmes n’aiment pas le terme "geekette", elles le trouvent réducteur dans le sens grammatical : le suffixe traduit soit une chose plus petite, soit une imitation. Techniquement, on ne dit pas un "geeket", donc pourquoi dire "geekette" ?

Déjà, le geek est plus ou moins bien perçu dans l’esprit collectif. Souvent, on confond un geek avec un otaku ou un nerd, qui sont des concepts bien différents. Un otaku est un fondu de culture japonaise alors qu’un nerd est handicapé par sa passion qui l’obnubile totalement. Le geek est un passionné, pas forcément de nouvelles technologies. Son domaine d’activité va des sciences au jeux vidéos, en passant par les jeux de rôles, le cinéma, la science-fonction, la logique,... Les geeks, qu’ils soient hommes ou femmes, n’aiment pas trop ces amalgames en règle générale.

J’aime beaucoup la définition d’Astier : "Un geek, c’est un enfant qui n’a pas trouvé de raison satisfaisante de devenir adulte". Et pour cause, le geek garde un émerveillement très enfantin à l’encontre de ce qui est nouveau pour lui et cet émerveillement le pousse à mettre les mains dedans.

Chez les femmes, j’ai pu voir deux genres de geeks : celles qui en sont fières et qui cultivent cette image et celles qui sont plus discrètes sur leurs activités. Quand je dis que je suis geek, les gens me regardent souvent étonnés, comme si j’avouais que j’étais immature. Je suis passionnée de cryptographie, librivore, cinéphile, j’ai un faible pour la science-fiction et l’héroic-fantasy, j’aime l’informatique et l’implication des TIC dans le monde de l’éducation notamment, je contribue à Mozilla, WIkipedia, Ubuntu-fr, April,... À côté, j’ai une vie sociale, je suis en train de terminer un Master en Informatique et Techniques de la communication à SUPINFO Paris et j’adore écrire (j’ai été rédactrice pour le blog GeekInc et depuis peu je publie pour TechCrunch France). Et je ne suis pas la seule femme geek dans ce cas : Christelle est passionnée d’accessibilité et de logiciel libre,
Sophie est animatrice de podcast sur les séries TV
, j’en passe... On n’a pas à avoir honte de ça, bien au contraire !

- Quelles sont les conditions de travail d’une femme dans le milieu de l’informatique, milieu essentiellement masculin ? Et dans le monde du libre ?

Les conditions de travail pour les femmes dans le milieu de l’informatique sont un peu particulières. Les hommes étant habitués à être entre eux, ils se permettent de nombreuses blagues, sous-entendus et autres réflexions, qu’ils ne se permettent pas dans un milieu plus hétérogène. En plus, il y a de nombreuses inégalités qui existent encore vis-à-vis des femmes, que ce soit à l’embauche ou durant l’évolution des carrières.

Sans oublier les préjugés qu’on a des femmes. Je me souviens d’une anecdote assez drôle sur le sujet d’ailleurs : je faisais des courses dans un magasin de composants informatiques avec un ami qui n’était pas du tout informaticien et qui avait besoin de conseils, un vendeur est arrivé et c’est tourné vers mon ami en demandant ce qu’il recherchait. Il lui a répondu "oh moi et l’informatique, on est fâché, par contre parlez avec mademoiselle, elle traduira pour moi". Le vendeur est tombé des nus et m’a lancé un regard lourd de sous-entendus. Les femmes ont cette image qui est de ne pouvoir être de très bonnes informaticiennes, on ne sait pourquoi. C’est un peu comme ce mythe de l’orientation.

- Comment se manifeste au quotidien le fait que l’informatique soit un milieu masculin ?

Pour mon expérience personnelle, il y a de tout. Soit on tombe sur des gens extrêmement protecteurs, qui vont croire que vous vous êtes perdues, qui vont vouloir se poser comme un pygmalion, ou ce genre de choses. Et souvent, on tombe aussi sur le machisme basique "c’est une fille, donc elle est nulle avec un ordinateur". Une autre anecdote, cette fois en classe. On révisait en commun une évaluation avec quelques camarades. À un moment, je n’étais pas d’accord sur certaines questions avec un d’eux. Il m’a littéralement envoyé baladé en sous-entendant que j’étais une fille donc que j’en savais moins que lui. Plus tard, j’ai été très contente de voir que j’avais eu une bien meilleure note que lui à l’examen, à charge de revanche.

On en parlait d’ailleurs avec la présidente de Wikimédia France, pas plus tard que la semaine dernière. Le problème, c’est qu’en tant que femme, on doit constamment faire ses preuves. Sa solution à elle était le refus. Elle est brillante, et ça ne se discute pas, point final. D’ailleurs, cela fait 2 ans qu’elle est à ce poste au sein de Wikimédia France, c’est la meilleure des preuves.

- Que doivent faire les hommes pour améliorer les conditions des femmes ?

C’est dur de dire que ce ne sont que les hommes qui doivent faire des efforts. Le travail doit venir des deux côtés, c’est d’ailleurs pour cela que nous acceptons les contributions de tous au sein de WoMoz. C’est agréable de voir que des hommes n’ont pas peur de jeter leurs préjugés aux orties et de venir travailler avec nous.

D’abord, les femmes doivent arrêter de donner le bâton pour se faire battre. Certaines n’osent pas mettre en avant leurs compétences, leurs expériences, elles se diminuent. Il faut savoir s’affirmer, mettre en avant ce qu’on fait. On a aussi besoin de mettre en avant les profils qui ont réussi, montrer les modèles. Sur le site de WoMoz, on a commencé à monter une liste de femmes libristes reconnues. Comme quoi, on parle beaucoup de Bill Gates et Steve Jobs, mais on oublie qu’on a aussi des révolutionnaires chez les femmes et qu’on est tout aussi capables de changer le monde.

Du côté des hommes, ils faut combattre les préjugés comme quoi les femmes sont forcément mauvaises dans les matières scientifiques tels que les maths ou l’informatique. Je pense que la meilleure des preuves restent encore de leur montrer de quel bois on se chauffe :D

- Selon les pays ou les continents (Europe, USA...) la condition des femmes dans l’informatique est-elle différente ?

Honnêtement, je ne sais pas. Dans WoMoz, nous avons des contributeurs de tout pays, Europe, Amériques,... On a même eu un contact avec un groupe de femmes travaillant au Kenya (AkiraChix). Aux États-Unis, il existe Girls in Tech, dont le pendant français est GITParis. Nous avions d’ailleurs fait un événement croisé avec elles à la Cantine, en juillet dernier. D’autres groupes de femmes dans l’IT étaient présents, comme Girls in Web ou Cyberelles. La question se pose à tous les niveaux, de la créatrice d’entreprise à la freelance.

Par contre, on a peu de lien avec l’Asie. J’ai lu quelques part qu’en Inde, l’informatique et les femmes étaient moins stigmatisés. Ce serait intéressant d’étudier le pourquoi du comment de ce qu’il se passe chez eux pour qu’ils arrivent à cela.

- Quel ton rapport au féminisme ? Te sens tu concernée, es-tu impliquée ? Que penses-tu de la discrimination positive ?

Je ne crois pas être une féministe pure et dure. Je suis plutôt contre tout type de discrimination, qu’il soit religieux, ethnique, ou autre. Je suis peut être idéaliste, mais pour moi, nous sommes égaux. Je trouve ça normal d’être évaluée sur mon expérience ou mes compétences effectives. Par contre, être jugée parce que je suis une femme, ça ne me plaît pas. Bien sur que cela me concerne, c’est pour cela que je me suis impliquée dès le début sur le projet WoMoz. On est tellement peu de contributrices dans Mozilla (environ 10%) et parmi les contributeurs français plus précisément. Je crois qu’on peut se compter sur les doigts d’une main chez FrenchMoz, c’est dire !

C’est très personnel, mais je n’aime pas le concept de discrimination positive. Pour moi, combattre le feu par le feu n’est pas la bonne solution. La discrimination positive ne fait que créer de nouvelles discriminations. Pour prendre un exemple concret, en Afrique du Sud, pour combattre le racisme à l’embauche, ils ont appliqué les quotas aux entreprises, si bien que la population blanche est sévèrement touchée par le chômage et la plupart des Blancs qualifiés quittent le pays. Pour les femmes, mon avis est que c’est par l’éducation que nous arriverons à changer les choses : en agissant à tous les niveaux, dans les écoles, chez les étudiants en années supérieurs et dans les entreprises, en montrant ce qui est fait, ce que les femmes sont capables, en quoi une équipe hétérogène est une valeur ajoutée,... L’éducation est un levier très puissant, en tout cas c’est ce que je crois.

- Existe-t-il des projets dans le monde du libre autres comme WoMoz ? Si oui quelle est la relation qu’à WoMoz avec eux ?

Bien sur,
on en a listé quelques un sur le site WoMoz. Pas de compétition à avoir avec ce genre de groupes. On est dans le même combat, qui est l’intégration des femmes dans notre milieu. De la même manière que la contribution dans le Logiciel Libre est un milieu "poreux", on accueille n’importe quel contributeur et on est toujours ravi de collaborer avec d’autres projets de femmes dans le Logiciel Libre. J’ai même témoigné durant une conférence chez Microsoft France pour Girls In Tech, c’est dire !

- Connais tu Genma.free.fr ?

Je ne connaissais pas avant qu’il ne soit syndiquer sur le planet MozFr. Maintenant, je suis avez attention, que ce soit le blog ou le compte Twitter.

Merci beaucoup Julia pour toutes ses longues réponses. En espérant que cette interview vous aura fait découvrir le projet WOMOZ et ce qu’est une geek au féminin et la place des femmes dans le monde de l’informatique.

Les liens :
 http://www.womoz.org/
 http://www.womoz.org/blog/
 http://www.julia.buchner.fr/